Bonjour à notre langue mère…       
                      
Mon œuvre performative se voulait liée à la vie de tous les jours,
          se produisait ici et ailleurs, en des lieux publics,
                 j’établissais des échanges verbaux.
                       C’était avant la pandémie.
Maintenant, mes rencontres face-à-face demeurent en attente…

En lien avec la semaine Internationale de la francophonie 2021, semaine dédiée à la langue française et à la culture, j’ai entamé sur le Net un offre~échange pancanadien. De ma « résidence d’artiste à domicile », j’ai lancé une invitation à une trentaine d’ami(e)s/connaissances, leur offrant l’occasion de participer à mon projet Unité de contrastes 5 – Bonjour à notre langue mère!...  Recevant trois questions de ma part, chacun avait là un moyen de révéler par écrit ses propos, le fruit d’une simple spontanéité, ou suite à une brève réflexion. Je me suis adressée ici exclusivement à des gens dont la langue première a été et demeure le français. 
La démarche du projet et son intention leur étaient présentées comme suit:

  • envoi de trois Questions (avec la suggestion de répondre à deux, ou les trois) à chaque participant invité, au sujet de sa langue maternelle,
  • regroupement des réponses : amour de la langue et philosophie/histoire,
  • ma brève rédaction sur le sujet, incluant des citations des participants, le tout accompagné de photos récentes, 
  • présentation du projet et texte sur mon site Web à la disposition de tous et chacun(e), ouverte au public.

Je m’intéresse à notre langue première, apprise dès notre enfance, et même avant de naître nous dit Boris Cyrulnik, neuropsychiatre et écrivain. À sa naissance, « …l’enfant perçoit les basses fréquences de sa mère qu’il a déjà perçues dans l’utérus » et Cyrulnik qualifie les premières années du bébé de bouillonnantes! C’est dire que depuis la pré-naissance, un présent et un passé vont de pair au sujet de notre langue maternelle, et nous aurions débarqué dans le monde des récits à l’âge des 5 ou 6 ans.   « …  la représentation du temps : être capable de mettre des virgules, être capable de faire des conjonctions et la représentation du temps dépendent de la maturation neurologique.» Dès l’enfance, des liens familiaux et environnementaux ont aussi ficelé notre apprentissage. « Ce ne sont pas des liens déterminés pour toute la vie, mais qui prennent déjà une direction, une orientation selon le milieu », des liens qui nous lient intimement à notre culture francophone.Ce sont là des éléments de propriété que nous avons manipulés, et Cyrulnik insiste : « …il appartient à chacun de prendre action. »  C’est là une langue reçue, liée à notre culture, et dont nous avons conservé l’usage, poursuivi la découverte, et que nous utilisons avec aisance et plaisir.


 

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Amour de la langue

Attachement, liens, connaissance, amour, tous sont liés à notre langue orale et écrite, nos lectures et à notre culture. Et comme dans tous les amours il y a maints dichotomies et défis, et je voudrais m’arrêter ici sur le multiculturalisme et l’ère numérique, intéressants et captivants.

Vivant dans un milieu composé de maintes nationalités, nous  sommes concrètement invités à l’acquisition de plusieurs langues, à la découverte d’autres cultures. Face à ces belles invitations, je soutiens qu’il est indispensable de savoir qui l’on est, de connaître ses origines, d’être conscient de son identité spécifique. Il importe de soigner cette béance identitaire que nous aimons posséder et qui, toutefois, menace la robustesse du moi : qui suis-je? Notre auto connaissance inclura vraisemblablement notre langue d’origine et cette culture que nous arborons et gratifions. Mais vivre et être accepté comme francophone au Canada furent et demeurent toujours un défi. Côté culture, nous avons entre autres autour de nous les autochtones qui nous questionnent, qui s’inquiètent de leur culture. Par exemple, l’expression orale a tenu la vedette durant l’été 2018 due à la pièce de théâtre Kanata de Robert Lepage. Pour les autochtones en action, le souci maintenu n’était pas la langue parlée, mais le fait d’entendre parler d’eux par l’entremise de quelqu’un d’autre et par l'absence de comédiens autochtones dans la dite pièce. La présentation de cette pièce fut annulée au Canada suite aux plaintes de personnalités autochtones et de quelques non-autochtones. Vu l’absence de la pièce, le silence nous parla, l’ambigüité nous envahit… Parler, parler de soi, parler d’eux et de nous; nous aurions pu réfléchir un peu plus amplement, ensemble, apprendre quelque chose des uns des autres au sujet de la parole, de l’expression verbale, comme dans les sages pièces de théâtre. Mais en vain.
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1121943/kanata-robert-lepage-maintenu-piece-autochtone-theatre-du-soleil-paris   18 juin 2019

Quand a-t-on besoin de parler? 
- quand on est bien… il faut parler… se faire des câlins
     - quand on est malade… il faut parler… se faire tendre la main
          - quand on est déprimé(e)… il faut parler… se faire écouter
               - quand on est agressé(e)… il faut parler… se faire entendre, se déballer au sujet de la liberté, de la présence indésirable, de la pudeur, de l’érotisme, de la religion, de la nudité, du voilement… Et lorsqu’on est proche de la mort… 

Selon Delphine Horviller, femme rabbin française et philosophe, les contradictions sont fréquentes; il faut trouver les mots pour dire la vie et la mort. « Qu’est-ce qu’on peut faire lorsqu’on se sent impuissant,… face à une difficulté, face à la mort… parler, dire, raconter… en fait c’est comme des armes de reconstruction, de réhabilitation… »  Et elle ajoute, « La parole est plus que la parole…  La narration, la mise en récit est clé dans les moments dramatiques de notre existence. Une histoire peut se raconter de bien des manières.» « En tenue d’Eve : Féminin, pudeur et judaïsme » de Delphine Horvilleur #lupourvous – Servir Ensemble  05/02/2021

Oui, narrer une histoire peut se faire par le drame, par la tragédie. On  peut décrire sa vie par le débit d’événements passés liés au moment, par des aventures, par le rêve lié au futur. Et un jour, la vie, elle, prendra fin …

En second lieu, soulignons l’ère du numérique dans laquelle nous vivons, récente mais vibrante. L’ordinateur permet de penser, d’interpréter notre milieu, incluant les autres cultures d’ici et d’ailleurs. Aussi, il nous jumelle au système nerveux, la tour de contrôle de notre corps! Et la parole lui est soumise. La lecture étant disponible sur le Net, partout et de partout, nous savons que les internautes en sont ravis. Toutefois, mes participants, eux, se sont montrés adeptes du livre imprimé.

Q - Quel est ton livre préféré, lu récemment, en français? Pourquoi cet amour? 

Isabelle B. - Je n'ai pas lu de livre en français récemment, cependant il y a un auteur que j'aime particulièrement, Guy de Maupassant. Sa collection de nouvelles, Le Horla et autres récits fantastiques, m'est très chère.

Rose M. - …j'ai lu récemment des livres publiés par La nouvelle plume. C'est une question pour moi d'encourager cette maison d'édition d'ici ainsi que des auteurs un peu moins connus. J'ai lu quatre volumes: Junk City de David Baudemont, Peines perdues, des nouvelles de Gilbert Troutet, Fannystelle de Nadine Mackenzie et Le fruit de la haine de Margot Joli. Tous ces livres de styles différents avaient quelque chose de spécial.

Colette B. - Mon livre préféré en français est La Détresse et l’Enchantement de Gabrielle Roy. C’est un livre que j’aime relire de temps en temps parce que ça me retourne à mes sources de jeune fille étudiante à l’Académie St-Joseph de St-Boniface. Ce retour me fait revivre des expériences que j’ai vécues qui sont similaires à ce que Gabrielle Roy et bien d’autres filles/femmes ont connues. C’est un livre qui fait apprécier notre langue et notre culture. L’espoir pour l’avenir se retrouve d’abord par l’appréciation du passé.

Louise R.Shuni  par Naomi Fontaine. C’est un livre sur la culture des Innus dans le nord du Canada. Très touchant et informatif.

Sylvie C. -  Je lis des livres en français. C'est la langue par où passe la poésie du monde pour moi et ma langue de survivance, de  solidarité contre la violence dans ce monde. C'est ma langue qui apprécie toutes les autres langues, ce souffle singulier d'humanité. C'est avec elle, ma langue par défaut, que je déjoue les langues de l'oppression, de l'exclusion, meurtrières. Ma langue se tord constamment. J'écoute les langues manifestes des femmes, des enfants pour plus de justice, pour préserver la planète. Mon livre préféré est celui sorti cette année, bien ancré dans la vie intérieure d'un peuple, d'un territoire et qui renforce le courage et la conscience. Je l'aime ce livre-là. Je caresse le papier et l'encre, hume ses odeurs de fraîche impression. Ce livre-là que nous subventionnons tous d'une façon ou d'une autre et qui a pu traverser les courses à obstacles de l'édition, celles des priorités des goûts du jour, et de se rendre jusqu'à nous. Mon livre préféré n'a peut-être pas été édité cette année ou même pas écrit, disposition favorable et conditions matérielles obligent.

Il est évident que les participants à mon projet aiment la lecture, s’y adonnent et je tiens à leur exprimer ma gratitude envers cette activité. Aussi, merci à tous d’avoir participé à mon projet, Bonjour à notre langue mère!...     

Toutefois, à l’encontre des livres imprimés, je souligne ici le fait que la culture des médias s’impose, elle nous transforme. Nous sommes tous sujets à l’influence de la publicité forte, archi-présente sur le Net. On constate aussi que la communication orale est de moins en moins utilisée, la lecture est de moins en moins pratiquée. Or, ce qui parle le plus, c’est l’image dit Paul Virilio, urbaniste, essayiste et philosophe. « La culture des médias a pris le dessus. Désormais, ce qui parle, c’est l’image. Toutes les images. Celles des affiches publicitaires comme celles des télévisions domestiques. Là où la téléprésence a succédé à la présence (physique, graphique…), le silence s’étend, s’approfondit sans cesse. » La procédure silence, par Paul Virilio (Le Monde diplomatique, août 2000) (monde-diplomatique.fr)   août 2020
 
Depuis plus d’un an, la pandémie dans laquelle nous vivons a, entre autres, considérablement modifié notre façon de consommer des produits culturels; la vie artistique réelle – théâtre, cinéma, peinture, danse, musique, etc., –  a été stoppée, s’est imprégnée de vite-fait, avec peu de fond et de réflexion. Et elle se doit même d’être teintée du cool,avec un certain sex appeal.
À sa façon, la publicité nous dicte nos besoins basés sur la consommation, disant connaître nos centres d’intérêt tels que nos données démographiques (âge, sexe), nos intérêts (mode, voyages, sports…), nos lieux d’habitation, les sites Web que nous consultons, etc. WOW! Par bonheur, ces offres ne sont pas uniques sur le Net – n’ignorons pas qu’avec un clic, nous avons aussi accès aux grands penseurs et aux artistes de l’heure et d’autrefois et souvent, gratuitement. De toute évidence, il nous appartient de juger, de passer outrecette pub envahissante, de faire nos choix.

De toute évidence les organisations et les artistes touchés par la présente pandémie travaillent à préparer de nouvelles plateformes virtuelles. Sous peu, on va offrir sur les réseaux sociaux une programmation culturelle différente. La langue et la culture française ne devraient donc pas être synonyme de repli sur l’offre publicitaire ni d’isolement permanent. Car leur histoire nous dévoile une richesse de longue haleine et même en cette période de confinement, elle peut nous ouvrir des horizons nouveaux, diversifiés.

La langue d’ici et d’aujourd’hui arrive-t-elle à exprimer ce qu’on pense, à dévoiler authentiquement nos pensées? Y a-t-il chez elle des insuffisances, des incapacités à ressentir le monde et à le raconter? Dû à l’Internet et à nos styles de vies rapides, le niveau de langue pratiqué par la masse est en déclin. De façon concrète et trépidante, la pandémie a amené des changements au vocabulaire et au lexique. Mais avant cela, un changement grandiose avait pris place dans l’ensemble de la populaire. Dominé par les sons, il témoigne d’un attrait à la nouveauté, aux mots brefs, aux « ajars », sans insister sur les nuances du message. On passe à l’usage de « vekteur de kréation », de « truks » nouveaux. Les fautes de français ne sont plus discriminantes, elles sont de mises. Mais pour les amants de la langue, eux, les mots exacts, porteurs d’idées et de concepts, de calmes et d’émotions, de sens et de mouvements, les vrais mots demeurent importants.  

Q - La langue française est-elle dans tes veines, dans ton âme? Dégage-t-elle en toi un sentiment de fierté? 

Rachel F. -  Oui, je suis fière de ma langue. Pas question de la laisser tomber. Lorsque j’ai eu ma fille Sarah, je lui parlais toujours en français. Et Gordon lui parlait en anglais. Elle est maintenant bilingue. Malheureusement, elle ne fait pas la même chose avec ses enfants parce que son mari s’y oppose. Les enfants vont à l’école d’immersion et ne parleront jamais bien. Tu vois, pour moi le français fait partie de mon identité; même si je vivais dans une ville anglophone, je voulais garder ma langue et la partager avec ma fille.

Q - La culture française occupe-t-elle une place majeure dans ta vie?

Isabelle B. - Je ne suis pas certaine de pouvoir appeler cela ma "culture", mais je suis le plus sentimentale lorsque je cuisine. Cependant j'associe cette sentimentalité à mes parents et tout ce qu'ils m'ont appris en ce qui concerne la bonne cuisine française.

Eric L. - Elle est le point central de ma vie : j'interagis avec ma famille en français, je travaille en français, j’aime en français. Non seulement je fais tout cela, mais je suis conscient du côté très précieux de cette situation, car je vis dans une petite bulle où tout autour de moi, tout se déroule en anglais. Si je n’étais pas dans cette bulle immergée dans un océan anglophone, mais dans un environnement entièrement francophone, je ne saurais pas apprécier ce que j’ai.

Jean L. - Je pense en français, rêve en français et lis parfois en français. J'adore même organiser des petites soirées musicales où l'on chante en français. Est-ce que cela veut dire que la culture française est une préoccupation majeure pour moi? Pas sûr. Elle l'est certainement au niveau de ma vie intérieure mais là semble-t-il s'arrête mon intérêt. Pas pour moi la montée aux barricades et les discours passionnés sur l'avenir incertain de notre chère langue ancestrale en Amérique du Nord. Indifférence coupable? Non pas. Confiance dans la résilience de notre culture et de sa beauté?  C'est plutôt cela. 

Claudette B. - Je ne suis pas fonceuse de nature dans la vie mais la langue française me tient absolument à cœur. C’est celle que je préfère et que je cultive en lecture et au quotidien. Quand j’écris je relis toujours mon texte en me demandant si l’autre va comprendre le sens de ma phrase.

Yvan L. - La culture et la langue font partie de mon identité, sans elles je serais perdu. Je réussis  à vivre mon français en minorité grâce à cette identité.

Au-delà des défis et des antagonismes, assurément cet amour envers le français peut constituer un enrichissement et un atout tout au long d’une vie.

 

 

 

 

Philo et Histoire

Sachant que le multiculturalisme peut apparaître noble et beau, il est évident que dans notre univers virtuel l’Internet peut être enrichissant et emmerdant. Il faut choisir et lié à cet univers, je me demande si notre bilinguisme et notre biculturalisme canadiens sont garants d’épanouissement. Nous enrichissent-ils, nous aident-t-ils à mieux communiquer? Ou ne sont-ils que de simples « cultures politiques » pour politiciens? 

Je m’arrête ici sur ce deuxième élément présent dans nos êtres depuis l’enfance: notre histoire. Il y a d’abord l’Acadie dont l’histoire remonte en 1534 lorsque Jacques Cartier en prend possession au nom de la France, et les premiers colons français arrivent en 1604 sous les administrations de Pierre Dugua de Mons et Samuel de Champlain.
Fondation de Québec - Répertoire du patrimoine culturel du Québec (gouv.qc.ca)

D’autre part, un comptoir permanent (site du futur Québec) est fondé en 1608, lors du 3e voyage de Samuel de Champlain. En ces débuts historiques, on parle de conflits entre la France et l’Angleterre, de l’échange de cette nouvelle colonie :  l’Acadie. En faisant référence aux francophones d’aujourd’hui colorés de l’esprit de combat et de survie, souvenons-nous que les défis entre Anglais et Français ne sont pas d’aujourd’hui mais remontent bel et bien au début du 17e siècle! L’Acadie est alors à tour de rôle, anglaise et française, mais les Acadiens, eux, se considèrent comme « neutres » ; sans prendre parti, ils espèrent éviter des représailles militaires. Vivre en Acadie, « c’est bien », loin des Européens! Mais voilà qu’une Déportation a lieu de 1755 à 1762… Puis, « Le traité de Paris de 1763 met définitivement fin à la Nouvelle-France et cède les provinces du Canada, de l’Acadie et de la Louisiane, à la couronne britannique. La Nouvelle-France devient alors la Province de Québec.» … « Après 1763, les Maritimes prennent un virage nettement britannique lorsque les planters de la Nouvelle-Angleterre s’installent sur les terres auparavant habitées par les Acadiens. »
Histoire de l'Acadie | l'Encyclopédie Canadienne (thecanadianencyclopedia.ca)
Canada, quand le français était une langue de résistance - Ép. 4/4 - La langue française, une histoire politique (franceculture.fr)     18/03/2021

En 1774, l'Acte de Québec reconnaît aux Canadiens français majoritaires le droit de conserver la langue française, leur droit civil et leur religion catholique. La Révolution américaine entraîne l'arrivée de nombreux loyalistes britanniques dans la province qui est éventuellement scindée en 1791 pour former le Bas-Canada, dans la vallée du Saint-Laurent, majoritairement francophone, et le Haut-Canada, sur la rive nord-ouest du lac Ontario, majoritairement anglophone.

En 1837-1838, le Bas-Canada connaît une série d'insurrections contre le pouvoir colonial britannique. En 1841, le Haut-Canada et le Bas-Canada deviennent le Canada-Uni, puis, en 1867, la Confédération canadienne entraîne la création de la province de Québec actuelle.
Histoire du Québec — Wikipédia (wikipedia.org)

Au cours des ans, les Acadiens préservent leurs valeurs et leur culture à la maison et dans les années 1950, ils développent un système d’éducation francophone (principalement au Nouveau-Brunswick). La vigueur et le caractère distinctif de leur culture les protègent contre les ravages de l’assimilation -  traits particuliers qui les aident à être reconnus en tant que peuple minoritaire dans les Maritimes. Le gouvernement libéral du premier ministre Louis J. Robichaud fait du Nouveau-Brunswick une province officiellement bilingue en 1969 (ce qui ne garantit pas toutefois les services municipaux en français). Ensuite est apparu le rapport Poirier-Bastarache, fruit des efforts du groupe de travail sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick. Ce rapport fait état des résultats d’une étude menée en vue de la révision de la Loi sur les langues officielles de 1969. « Le succès le plus  retentissant de cette lutte a sans doute été la reconnaissance du caractère bilingue du Nouveau-Brunswick en 1982 (voir : Loi constitutionnelle de 1982 : document) et la reconnaissance des deux droits égaux des deux communautés de langue officielle de cette province dans la Constitution canadienne en 1993. »
Histoire de l'Acadie | l'Encyclopédie Canadienne (thecanadianencyclopedia.ca)

Dans les années 1960, le mouvement souverainiste du Québec et un mouvement d’opposition au bilinguisme dans l’Ouest se font sentir à un niveau national. Ironiquement, comme dans les années 1750, les Acadiens se retrouvent pris au milieu. Néanmoins, ils réussissent à faire des gains en vue de préserver leurs droits.
Histoire du Québec — Wikipédia (wikipedia.org)

Le bilinguisme officiel fut introduit au Canada en 1969, mais aujourd’hui, dans nos vies de tous les jours, on constate que :

  • les francophones sont souvent bilingues, mais les anglophones, eux, plus rarement;
  • les fonctionnaires francophones et bilingues se plaignent et considèrent que leur langue mère, le français, ne leur est plus utile;
  • ces dernières années, maints francophones ont perdu leur langue maternelle.

 Q  - Être francophone nous permet-il de réconcilier des contradictions de la vie courante? Du biculturalisme?

Pierre L. - Être bilingue nous ouvre la possibilité de franchir certaines barrières et d’élargir nos horizons et diminuer certains préjugés. Le plus et le mieux qu’on peut communiquer entre nous, le plus il est possible de développer des relations et notre bien-être dépend d’avoir de bonnes relations.

Lise L. - J’ai fait le choix d’être francophone pendant mes années universitaires dans le sud de l’Ontario au début de la vingtaine. Cela a permis de me reconstruire/me recentrer sur des bases culturelles et de m’identifier au mouvement de prise de parole des Franco-ontariens auquel j’adhère toujours. Un regret m’habite depuis mon adolescence est que l’école primaire/secondaire ne nous ait pas exposés à une langue/culture autochtone – dans mon cas, l’innu ou le montagnais. Il n’est jamais trop tard pour commencer! À voir, si ce n’est pas déjà fait, le documentaire « je m’appelle humain ».

Benjamin A. - Le fait de reconnaître officiellement deux cultures au Canada est un jeu colonial. Les contradictions que nous pouvons élucider par le français ne sont que des points de sutures souillées, créant de nouvelles déchirures. C'est le cas de toutes les langues, notre perspective est tout à fait partielle. Le français n'éclaire le monde que d'un certain point de vue, laissant dans l'ombre les autres perspectives. Si les paradoxes semblent résolus, c'est parce que la rugosité de la vie est obscurcie. "It's a trap".

Q - En tant que francophone, est-il facile et agréable d’être bilingue au Canada?

Lise L. - Cela dépend où on se situe, physiquement, au Canada! Et mon sentiment est que la situation s’est dégradée dans les dernières décennies. Cela dépend aussi avec qui et à quel palier gouvernemental on s’adresse – il est clairement plus facile au fédéral (ex : CAC) et dans certaines villes et provinces (N-B, Ontario français, Saint-Boniface). Il est certainement agréable d’être bilingue pour rencontrer l’autre et encore plus agréable quand l’autre est bilingue et intéressé culturellement à la francophonie, pas juste sur le plan linguistique.

Benjamin A. - Ici, il y a déception. Pourquoi seulement bilingue? J'éprouve une aise certaine en français et en anglais, un plaisir à chaque fois renouvelé de passer d'une à l'autre. Cela dit, j'aimerais avoir les opportunités et le courage d'en apprendre davantage. Des langues autochtones, qui sur notre territoire seraient vraiment capables d'exprimer nos relations, mais aussi l'espagnol ou le portugais, afin de comprendre d'autres colonisateurs sur ce continent.

Q - Selon toi, la langue française fleurit-elle présentement dans notre Canada qui se dit « bilingue »? 

Annie R. - Si le français se détériore en milieu francophone, j'imagine comment ça peut être en milieu majoritairement anglophone. On entend des histoires d'horreur, de personnes incapables de recevoir des services publics en français, ailleurs qu'au Québec mais également dans certains quartiers de Montréal. La langue est vectrice de culture. Pour conserver notre culture vivante, on se doit de prendre soin de notre belle langue française et de la promouvoir. Vrai qu'elle est difficile, mais elle est tellement riche et pleine de nuances! Parler français en Amérique nous rend comme les Gaulois. 

Laurette L. - Il y a beaucoup de chemin à faire pour que nous puissions vivre une vie bilingue au Canada. Il faut que les services en français soient à tout niveau non seulement au niveau scolaire et fédéral.

Claudette B. - La langue française fleurit à travers les artistes surtout. Elle se perd en affaire parce que les dirigeants ne sont pas sensibles au fait français. Travailler dans les deux langues semble être un fardeau et c’est trop.

Mychele F. - Je ne sais pas. Il me semble qu'ici, dans l'Ouest, elle fleurit, comme tu dis. Le nombre de francophiles est à la hausse. De plus en plus d'anglophones peuvent se débrouiller en français, on voit des politiciens ou des sportifs anglophones s'adresser aux médias francophones en français. Et puis, il y a l'immigration africaine francophone. Et des organismes de mieux en mieux financés et outillés pour soutenir et encourager la vie artistique. La langue française est peut-être plus en danger en milieu majoritaire. On se méfie moins. Quand j'ai quitté Montréal il y a huit ans, déjà, sur les rues Ste-Catherine O, St-Laurent, St-Denis, dans les boutiques et restos, il n'était pas rare de tomber sur un "Sorry I don't speak French". N'est-il pas question de resserrer la Loi sur les langues officielles?

Yvan L. - Je ne crois pas, tranquillement elle s'effrite et s'amalgame... elle se fait envahir...

Officiellement, le Canada et le Nouveau-Brunswick sont encore bilingues mais la reconnaissance et l’adoption du français comme langue officielle par la majorité anglophone reste à accomplir. En 2020, un jugement fut grandement attendu par les communautés de langue officielle en situation minoritaire partout au Canada. Suite à un long procès sur l’éducation en langue française qui opposa la Communauté francophone de la Colombie-Britannique au ministère de l’Éducation de cette province, la Cour suprême du Canada se prononça le 12 juin 2020 en faveur des francophones. Ce jugement vint réitérer le concept d’égalité en matière des langues officielles, concept qui n’est pas relatif. Et le français est une langue réelle.
Toutefois, je constate quotidiennement que les sites Web de soi-disant francophones ne sont qu’en anglais. Et la présence de cette sombre atmosphère fut soutenue lorsque je lus en avril 2021 : « Plus de la moitié des jeunes pousses montréalaises en intelligence artificielle et en technologies disruptives et 42% de celles œuvrant dans les logiciels-services proposent des sites Internet unilingues anglais, selon les données compilées par Le Devoir »  
https://www.ledevoir.com/societe/598188/devoirs-de-francais-les-i-start-up-i-en-anglais-d-abord    3 avril 2021

Ce geste de la part des jeunes est fort significatif et triste pour les amants du français. Mais en contre-chant, j’aimerais souligner ici un événement survenu en cette semaine Internationale de la francophonie : le nouveau dictionnaire numérique DDF, Dictionnaire des francophones, est lancé dans l’Hexagone! Ce volumineux dictionnaire numérique, disponible en ligne gratuitement, met sur le même pied tous les mots et les expressions francophones employés à travers le monde, là où on parle français. Et Marie-Éva, linguiste et lexicographe québécoise, connue pour son Multidictionnaire de la langue française aime particulièrement crtte possibilité de comparer rapidement les différents sens d’un même mot à travers toute la francophonie. Rien n’est aléatoire mais il importe, je crois, de ne pas avoir des objectifs clos, d’avoir une ouverture sur le monde, en quête de découvertes et de promotion de qui on est, en quête de notre langue. Pour une langue régie depuis toujours par maintes règles, ne plus être normatif ni prescriptif, serait-ce là une démarche positive envers sa survie?

La langue française, d’abord porteuse d’un projet de civilisation, est un symbole de résistance pour un certain nombre de francophones d’ici qui ne renoncent pas à la langue et à la culture française. « La langue française change de statut et devient, au fil du temps, un outil politique et un moyen de résistance pour les populations francophones qui estiment être traitées comme des citoyens de seconde zone. »
Canada, quand le français était une langue de résistance - Ép. 4/4 - La langue française, une histoire politique (franceculture.fr)    18/03/2021

Tout comme le Canada, le Cameroun est un pays bilingue dans lequel le français et l’anglais sont langues officielles, mais où la minorité statistique est anglophone tandis que la majorité est francophone. Une étude récente de Jean-Guy Mboudjeke, de University of Regina, Saskatchewan, discute du rapprochement des deux situations sociolinguistiques (réalité sociale vs pratique individuelle). « La présente étude s’emploie à mettre en évidence les ressemblances et les différences entre les deux situations sociolinguistiques. Elle montre que les différences, qui découlent pour l’essentiel du rapport que les citoyens des deux pays ont avec les deux langues officielles, déterminent les choix des politiques linguistiques et influencent les attitudes vis-à-vis du bilinguisme individuel. »
Bilinguisme, politiques et attitudes linguistiques au Cameroun et au Canada (cnrs.fr)  
15 juin 2006

Ajoutons ici les principes de Monique Canto-Sperber, philosophe française qui soutient que la liberté d’expression est le sujet d’ardentes polémiques et d’antagonismes. D’un côté, l’abondance de commentaires, d’analyses, et de l’autre, « …de  nombreuses voix s’inquiètent de l’apparition de nouvelles formes de censures qui émaneraient de la société civile elle-même et redoutent la ‘‘cancel culture’’ ». Retenons de Canto-Sperber que grâce à la liberté d'expression, grâce à une meilleure prise en cause des identités ethniques,  une remise en cause de l’ordre établi est lancée. Nous nous devons donc d’accepter de discuter de revendications et que les politiciens en place n’y sont que pour nous.
Expression : une liberté en voie d’extinction ? Avec Monique Canto-Sperber (franceculture.fr)   23/04/2021

Puisqu’aujourd’hui la culture des médias s’impose, nous parlons de moins en moins, nous lisons de moins en moins et, comme dit Paul Virilio (cité p. 4), ce qui parle le plus est l’image. Et le silence s’étend, s’approfondit sans cesse. Ô, le silence alors… qui dévore la dimension existentielle de la parole...

 

 Conclusion 

La belle langue française est parlée depuis qu’on l’écrit, c’est-à-dire au temps médiéval. Pourra-t-elle poursuivre son cheminement? Alors que nous sommes dans un monde de pluralisme culturel, notre connexion monde pourra-t-elle contribuer à la survie de la culture française? Présentement, le français canadien est lié à son bilinguisme. Celui-ci est accepté par 85% de la population, mais tient plus du symbolisme que de la réalité. Un autre symbole est le drapeau national canadien adopté en 1965 et qui incarne par ses deux couleurs, le blanc et le rouge, la culture franco-anglaise du Canada et ses deux langues officielles. Notre connexion monde pourra-t-elle nous épanouir au lieu de nous enligner vers un anglais international, langue moins expressive, moins précise, moins abstraite que le français? Comme l’exprime le présent gouvernement fédéral depuis mars 2019, la Loi sur les langues officielles se doit d’être modernisée. Oui, à faire…

Dans ma vidéo Ici et ailleurs produite en septembre 2020, je résume ainsi ma vie quotidienne qui inclut ce défi existentiel : « Dans un milieu anglophone, mon amour du français persiste, mais je suis liée aujourd’hui à mon besoin de communication internationale où je me dois d’adopter la langue anglaise. Lorsque j’assiste, participe à des conférences internationales dédiées à l’art, la langue anglaise est adoptée par les participants de maintes nationalités. De même en est-il au sujet de la publication de nos textes. Le français est toujours présent, internationalement, mais limité…. Mais moi, je compte demeurer francophone jusqu’à la fin de mes jours! » 

Même si l’anglais est présentement la langue dominante, même si l’attitude de maints anglo-canadiens envers la langue française n’est pas accueillante, il serait avantageux de désirer conserver notre langue française. Dans ce but, adoptons l’attitude de la commission Poirier-Bastarache des années 1980 lorsqu’elle publia son rapport Vers l’égalité des langues officielles au Nouveau-Brunswick.  Et je m’allie à Michel Bastarache qui nous incite à agir, à dire, à parler du français. « Il ne faut jamais être satisfait de ne rien dire par peur de troubler l’ordre établi. La complaisance, c’est la mort intérieure. … Il me fait plaisir de répandre la langue de ma mère, cette langue que je reconnais comme la plus belle au monde, que je respecte. »  
Livre : Bastarache, Michel et Trépanier, Antoine; Ce que je voudrais dire à mes enfants, Les Presses de l’Université d’Ottawa, Ottawa, 2019